• Numéro 3 | Ode au musée Charavel

     

    Odes ici, au musée...


     

    Patrice Charavel

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p><o:p> </o:p>Assis, trouble, il attend le moment de passer devant, sur le plateau. Il regarde ses pieds enflés par le trac et blanchis par la poussière de plâtre qui monte sournoise sur son costume. Il tapote un rythme, celui du texte en sa mémoire. Il devra parler fort car la salle est vaste, et le public pâle semble si fragile, comme fêlé et abandonné.
    Pour cet être divagant et orageux qu'il doit représenter. D'un texte en failles et rugissements, le faire aller d'un monde à l'autre, des humains aux dieux, voyage en paysages de désastres et de miracles. Charger les phrases de ces profanations glorieuses qui donnèrent les hommes à la terre. Enfants illégitimes, oiseaux paroxystiques, flammes infernales et monstruosités divines. Chœurs pour une longue tragédie, tirades en un chant lointain qui remonte de ces antres, oublié aux temps modernes.
    « Je m'évertue, oui je m'évertue !! » cria-t-il de toutes ses tripes.
    L'autre surgit « holà ! vous n'êtes pas au théâtre, mais dans un muuuséee ! »
    La poudre l'enveloppe comme le fantôme de l'opéra, insaisissable et ricanante. Elle s'effrite de ces formes humaines en fluides estompes, souffles de ces âmes perdues entre les plis figés et les histoires d'avant l'avent. Transformées en mythes ombragés par le mystère de ces temps anciens, alors que la langue était toute performative, croyait-on. Maintenant, encore pour le comédien « dire c‘est faire », c'est faire le théâtre et ses douleurs d'enfantement. Les mots savent si bien nous transformer en statues de pierre, et nous porter dans le lit de nos mères vagabondes et nos pères oublieux. Jusqu'au fond de l'inconscience car il n'y a, par là-bas, aucune demi-mesure. Acteur, entièrement humain, entièrement divin. La scène de notre histoire si unique qu'elle fait le lit de toutes nos rumeurs. Alors nous parlons, nous accuson à tort et à travers pour dériver vers nos infantiles espérances.
    La lumière est tamisée, creux du crépuscule où les ombres deviennent des esprits attirés par les ondes du fleuve et les entrailles de la terre. Chantons et déclamons jusqu'à perdre notre visage, l'écho nous le rendra-t-il de ses paroles tronquées, reflet affolé par notre éternité qui se traîne ? « Je m'évertue ! je m'évertue ! » Il suffoque maintenant, devra-t-il abandonner ? Qui l'écoutera, vraiment ? Dans ce paysage de souvenirs qui étire notre conscience au delà du présent, pourra-t-il transmettre la vérité du verbe?
    Se confronter au silence des pierres est l'épreuve de tout homme de bon sens. « Je ne crois en rien qu'à mon destin » quel impensé, quel insensé ! Ici présent, il s'écrit dans la plus belle des vulgates, celle de la sculpture. Le geste du ciseau recoupe le geste de l'homme et le chant sur la pierre résonne encore aujourd'hui en celui du vivant qui vient redire les combats terribles. L'odeur du coup porté à la matière, la plaie dans le marbre, la main qui caresse cet instant réalisé en forme humaine. La voix, de même, lisse le temps et l'espace, et donne forme à notre âme. Ame dit-on car l'ailleurs ne se raconte pas, il se décompose en vers et en souffle.
    « Je m'évertue ! » car la vertu signe le vol des mésanges et celui du berger, arrivés jusqu'ici. L'odeur du trac monte doucement, comme cette vile poussière de temps. D'une vibration venue de l'autre scène où va se jouer encore toutes les destinées. Il regardera son public, et ces témoins figés, citoyens d'antan qui lui tendent leur glaive. La guerre était une forme de civilité, et il se doit d'en raconter les faits d'armes. Car ces hommes furent les maîtres de tous nos sacrifices. Ainsi acteur, il jouera pour ces monceaux d'éternité exposée, qui nous font retourner à la culpabilité de tous nos crimes ignorés. Nos innocences barbares ont ce prix à payer pour vivre en communauté.
    Bruissements, on l'attend, son coeur palpite, la poussière l'enivre et il croit entendre quelque spectre gémissant, mais la question n'est plus de raison.
    Ses pieds ont désenflé, léger il s'élève en courant « Je m'évertue ! je m'évertue ! » d'être un homme vivant...
    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>Patrice Charavel – Lyon, mai 2008l

     


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