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Etoilement des musées : essai de définition
La Rédaction
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Musée imaginaire
Le terme « musée » définit simultanément un écrin architectural et les espaces qui accueillent des
oeuvres. L'idée de musée est donc profondément attachée à une spatialité précise, circonscrite, maîtrisée.
A un lieu saisissable et appréhendable physiquement. Cependant André Malraux suggère une autre
dimension spatiale dans son célèbre Musée imaginaire publié en 1947 aux éditions Skira1.L'espace du musée devient immatériel, mental, et permet de créer des rapprochements entre des oeuvres
très éloignées physiquement : dispersées aux quatre coins du monde ou produits de multiples époques.
L'esprit et la mémoire sont sollicités pour mettre en place fictivement des départements, des sections,
des salles, des cimaises, du musée mental universel, constitué cependant d'oeuvres qui existent. Malraux
appuie son projet sur un support spécifique : le livre. Outil qui produit un sens et construit un discours
par sa nature même : la succession des pages et l'enchaînement des images suscitant des rapprochements
qui ne peuvent être opérés, ni même envisagés dans le réel. Des sculptures cambodgiennes peuvent ainsi
dialoguées avec les peintures médiévales de St Savin-sur-Gartempe.
Le musée imaginaire est un système, construit selon des critères subjectifs, et reposant sur des
choix sensibles qui peuvent être ébranlés. La validité du système de Malraux peut être remise en cause,
mais il permet toutefois d'élargir les réflexions autour du musée par la perte de la praticabilité physique
du lieu.
Aby Warburg : une bibliothèque et
MnémosyneLes Trésors de la peinture française édités par Albert Skira dès 1936, grâce à l'impulsion de E.
Tériade, ont été vendus avec le slogan « un musée dans votre bibliothèque » . La bibliothèque, qui est
une accumulation de livres dans un certain ordre assemblé
2, est proposée comme musée de papier,1
Des extraits ont été publiés dès 1946 en une du numéro 22-23 du journal Labyrinthe édité et diffusé par Albert Skira.2
En écho à la phrase de Maurice Denis pour qui la peinture est accumulation de couleurs en un certain ordre assemblé.comme spatialisation condensée des images. L'historien de l'art allemand Aby Warburg (1866-1929)
a particulièrement travaillé sur sa bibliothèque et plus spécifiquement sur la spatialisation des livres,
qui était mouvante. L'organisation de l'espace variait en fonction des rapprochements intellectuels entre
les thèmes des livres, qui évoluaient quotidiennement. La bibliothèque / musée de papier spatialisait
et rendait lisible matériellement, l'organisation cérébrale des savoirs et des connaissances. La pensée
rhizomique de Warburg, qui favorise la connectivité entre une multiplicité de sujets dispersés dans le
temps et dans l'espace, est visualisable dans la bibliothèque.
Aby Warburg a développé un second outil, propre à permettre de penser l'image et ses corollaires
anthropologiques, en sortant des cloisonnements et barrières chronologiques et spatiales (en particulier
celles du musée) : le Mnémosyne. Il s'agit d'un ensemble de panneaux noirs sur lesquels sont épinglésdes reproductions d'oeuvres de l'histoire de l'art. Le réseau d'images est une forme de musée personnel
qui appuie ou stimule un regard sur le rapport entre signifié et référant, en se détachant totalement du
signifiant, standardisé dans le Mnémosyne par l'image en noir et blanc d'une trentaine de centimètres.L'installation de Warburg évolue comme un musée éphémère au service d'une pure construction
mentale.
Icon de Philostrate
Le musée comme révélateur d'une réflexion conceptuelle sur le point de vue et la distance entre
le représenté et la représentation. Philostrate de Lemnos (190-250) met en scène la relation entre l'image
et le discours portée sur l'image, dans le texte ekphrasistique intitulé Les images ou tableaux de plattepeinture.Il y décrit une suite de soixante peintures placées dans une galerie imaginaire. Le récit émanant de
la visite du musée inventé par Philostrate, permet de donner toute sa force à la description et sa puissance
au langage devant lequel l'image s'efface, car trop distante du réel pour l'auteur. Toutefois, les éditions
modernes des Images, par exemple celle de Blaise de Vigenère (Paris, Chesveau, 1576), reproduisent desplanches gravées tirées des descriptions de Philostrate. Les illustrateurs imaginent ainsi au travers du
prisme de l'ekphrasis, une nouvelle galerie inventée par l'auteur grec à dessein théorique.
Typologie de l'accrochage
« Avoir les honneurs de la cimaise ». Tel est ce qui était recherché par les artistes qui exposaient
au Salon, et qui désiraient voir leurs oeuvres placées à hauteur du regard au sein d'une superposition de
quatre ou cinq niveaux de peintures. Le Salon a ainsi forgé une conception de l'accrochage muséal, qui a
longtemps été marquée d'une lecture vignetée de l'art.
Aujourd'hui les stratégies d'accrochages peuvent varier à dessein en fonction des ambitions
du conservateur. De type purement chronologique, l'accrochage met en valeur dans chaque salle un
moment précis de la production artistique (siècle, décennie), qui trouve sa cohérence par rapport à
des questionnements historiques. Cette typologie permet des comparaisons entre des oeuvres issues
de centres artistiques opposés (germanique et ibérique). Mais l'accrochage du musée peut être articulé
par le recours aux écoles, cloisonnant ainsi les oeuvres et ne les mettant en regard qu'avec celles qui les
précèdent ou les suivent temporellement. Récemment les réserves sont introduites dans l'accrochage des
collections et sont situées, au moins partiellement, au sein des salles fréquentées par le public. Citons la
réserve des instruments de musique qui est architecturalement insérée dans le parcours muséographique
du musée du quai Branly. De nombreux musées italiens et allemands exposent également des oeuvres qui
ne peuvent supporter la fréquentation intense du public (gravures, dessins), grâce à l'utilisation de tiroirs
et de mobilier pivotants manipulables. L'accrochage détermine une relation à l'oeuvre et suppose une prise
de position, un parti pris par rapport à la collection. Il fait discours.
Le musée ou l'artiste.
La question des musées, au coeur des débats dans les années 60, a été dès lors repensée de diverses
manières. Le rapport de l'artiste à l'institution muséale peut évoluer dans la sphère créatrice, personnelle,
de celui qui deviendra producteur d'un lieu, d'un site comme espace d'exposition, voire de conservation.
L'exemple de Marcel Broodthaers en est séduisant : quand il conçoit Musée d'art moderne Départementdes Aigles, il s'appuie sur le terme Aigle pour construire une galerie basée sur l'accumulation d'imagesqui lui sont relatives. Il expose alors différentes images, du symbole de Saint Jean à un aigle enlevant
Ganymède, divers objets gravés, sculptés, ou d'autres images publicitaires pour du beurre ou des bonbons.
Les figurations de l'aigle sous de multiples aspects et situations côtoient sa simple nomination. Ce musée
se définit par l'impermanence de ces collections comme de sa situation géographique. Démystification.
Le musée jusque là écrin des chefs d'oeuvres d'artistes de génie, devient lieu de mal-être, aussi bien pour
le public que pour l'artiste qui n'y projette pas son travail. Ben, Robert Filliou, Herbert Distel ou encore
Claes Oldenbourg, amorcent ce besoin de reconsidérer la relation des oeuvres au musée, une relation avec
l'espace qui est au coeur des préoccupations artistiques du XXe siècle.
Le mal-être de Blanchot
On ne dit pas suffisamment les maux que le musée peut engendrer. L'enthousiasme pour la course
massive aux collections, masquant des rapports plus intimes à ce lieu si particulier.
Stendhal nous avait alerté sur le mal dont il était pris dans certains lieux chargés émotionnellement
(églises, galeries, abbayes en ruines, sites archéologiques...). Impression appelée syndrome de Stendhal,
qui fait basculer la victime dans un état déconnecté du réel, hors de tout repère spatial ou temporel.
C'est par une approche critique du Musée imaginaire et des présupposés positivistes de Malraux, que
Maurice Blanchot introduit son article sur le « Mal du musée »3. L'auteur de l'Espace littéraire n'hésite pasà comparer le vertige provoqué par le musée, au « mal de la montagne ». Son mal être est provoqué par
l'amoncellement de richesses dans un espace étouffant, puis par le lourd rapport physique à la peinture.
L'artificiel rapport à l'oeuvre, mis en scène par le musée, peut nuire à celui qui le subit et tend à « dégrader
l'art », captif de contingences économiques et sociales propres à l'institution muséale, qui lui sont pourtant
étrangères.
3
Cf bibliographie p. 42Maison de culte
Dans Le Musée sans fin, François Dagognet, introduit le musée comme « Temple de la culture ».Les musées, dans la relation qu'ils ont toujours entretenu avec les pièces qu'ils exposent, instaurent une
distance entre le visiteur et les oeuvres. Ne pas toucher. Le public est invité à déambuler d'un espace à
l'autre, d'une oeuvre à l'autre, et à assimiler des informations indiscutables, à passer de l'oeuvre au cartel
technique, d'une pièce à l'autre, comme dans un genre de chapelles cloisonnées où le recueillement
s'impose par un silence pesant, face à de pieuses images. Le silence environnant reflète l'absence d'échange,
de dialogue qu'offre l'accumulation des oeuvres. Le silence intérieur à chaque visiteur, en revanche, peut
être comblé par un audio-guide, voix pré-enregistrée qui le bercera tout au long de sa visite, jusqu'à ce
que le visiteur, devenu auditeur, redevienne visiteur et n'écoute plus, en même temps qu'il ne verra plus
les oeuvres noyées sous la multitude. A chacun de ses pas, devenus mécaniques, le visiteur se conforme
à un genre de pèlerinage, dans un espace tenu pour sacré, en quête d'une spiritualité qui échappe à sa
réalité.
Déambulation, recueillement, contemplation, sacralisation. Le musée, par la rupture avec la
société, s'impose comme lieu de culte, à l'instar des églises, lieu de culture, qui sont aujourd'hui plus
visitées par les touristes que par les dévots.
Organisme
François Dagognet, dans 100 mots pour commencer à philosopher, établit un parallèle du muséeavec l'école, la prison, et l'hôpital. En tant que lieux de rassemblement, le musée se définit à la fois par son
rôle pédagogique, par une distance physique faite de barrières et de surveillances, mais également par
son action réparatrice sur les oeuvres.
Alors que Georges Bataille voyant les musées se développer de manière à être assimilés aux
poumons des grandes villes, oxygénant les foules, les portant jusqu'à la béatification mystique, les visites
d'aujourd'hui exténuent, et la profusion asphyxie.
La critique est nette, le musée est un lieu rigide, cloisonné, mais qui reste à la base un lieu ouvert :
ouvert pour tous, ouvert à toute forme de culture, et ouvert sur l'information et la recherche. Bien
souvent critiquées, les expositions temporaires, parfaitement intégrées par l'institution muséale actuelle,
sont peut-être une réponse à cette saturation ressentie lors d'une visite des collections permanentes. Une
exposition thématique par exemple est une façon de redécouvrir une partie des collections, la plupart du
temps aérée par un jeu d'échange avec d'autres institutions. Ainsi le musée apparaît comme un réseau, qui
aura plus de facilité à évoluer par son ouverture sur l'extérieur.
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(...) Dans un musée de sculpture ou de peinture, il me semble toujours
que certains recoins perdus doivent être le théâtre de lubricités cachées. Il serait
bien aussi de surprendre une belle étrangère à face-à-main, qu'on aperçoit de dos
contemplant quelque chef-d'oeuvre, et de la posséder ; elle resterait, apparemment,
aussi impassible qu'une dévote à l'église ou que la goule professionnelle qui, après
avoir consciencieusement fait le travail pour lequel vous l'avez payée, se penche sur
la blancheur de la toilette afin de libérer sa bouche souillée, puis se brosse vigoureusement
les dents et crache encore, avec un bruit mou qui tout ensemble vous fait
défaillir et vous fait froid au coeur.
Rien ne me parait ressembler autant à un bordel qu'un musée. On y trouve
le même côté louche et le même côté pétrifié. Dans l'un, les Vénus, les Judith, les
Suzanne, les Junon, les Lucrèce, les Salomé et autres héroïnes, en belles images figées
; dans l'autre, des femmes vivantes, vêtues de leurs parures traditionnelles, avec
leurs gestes, leurs locutions, leurs usages tout à fait stéréotypés. Dans l'un et l'autre
endroit on est, d'une certaine manière, sous le signe de l'archéologie ; et si j'ai aimé
longtemps le bordel c'est parce qu'il participe lui aussi de l'antiquité, en raison de
son côté marché d'esclaves, prostitution rituelle. (...)
Michel Leiris,
L' Age d'homme, Paris, Gallimard, 2007, p. 59-60
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