• Numéro 4 | paru le 28 novembre 2008 | Rumelin

     

    Une illustration particulière dans Pétrarque,

     « Von der Artzney bayder Glück » ...

    Augsburg 1532

     

    Christian Rümelin



    L'édition allemande de « De Remedius utriusque fortunae », parue à Augsbourg en 1532, est pour différentes raisons un livre remarquable.[i] C'est une des premières publications non-théologiques et non-scientifiques qui soit entièrement illustrée.[ii] Même s'il ne fut publié qu'en 1532, l'histoire de la production de ce livre commence une dizaine d'années auparavant et avec d'autres éditeurs que Steiner. Il ne s'agissait pas là de la première édition du texte, qui avait été publiée probablement déjà en 1475 à Strasbourg en latin,[iii] ou partiellement en allemand en 1478 et 1516. En 1519 Grimm et Wirsung, deux éditeurs d'Augsbourg, décident de publier une édition complète, traduite par Peter Stahel, continuée après sa mort par Georg Spalatin, et rédigée par Sebastian Brant. Brant était aussi responsable du programme des illustrations qui ont probablement dessinées et gravées par Hans Weiditz.[iv] Les dessins et les xylographies furent probablement été réalisés entre 1519 et 1521 ou 1522.[v] Cette édition, cependant, ne vit pas le jour, et après la faillite de Grimm, Georg Steiner acheta les matrices et les textes, pour publier le livre en 1532, avec un retard de dix ans.

    Un tel retard n'était pourtant pas exceptionnel, de même que le fait que quelques images furent utilisées dans un autre contexte. La mise en page finale n'était peut-être pas exactement celle envisagée au début car la largeur des images ne correspond pas entièrement à la largeur des colonnes. Mais ces différences esthétiques restent dans la normalité de l'époque. D'autres publications montrent une légère différence entre la largeur des images et celle des colonnes, même si les illustrations ont été commandées pour une publication particulière. L'importance de l'édition résulte cependant, non des conquêtes de la mise en page, mais des liens entre les images et le texte, du fait que ce livre est une des premières publications non-bibliques. Elle comprend un très grand nombre d'illustrations, dont la qualité des images et les liens avec les autres illustrations de l'époque sont remarquables.

    Le programme était développé par Sebastian Brandt, qui avait beaucoup d'expérience avec des programmes semblables dans ce genre de publication. Il a probablement donné à Weiditz une idée des illustrations, mais il restait le devoir du dessinateur et du graveur de les réaliser.[vi] Cette division de tâches était plutôt commune, non seulement pour des auteurs anciens, mais aussi pour des contemporains, et comprend la suite des images et leur contenu. Weiditz a du contribuer relativement peu à la sélection des scènes, son rôle principal étant plutôt de trouver une solution pour les questions iconographiques et artistiques. Beaucoup d'illustrations de ce livre traitent des scènes de la vie quotidienne et par conséquent ne posent pas de grands problèmes iconographiques.

    Une des grandes exceptions reste par contre l'illustration pour le septième chapitre. L'image se rapporte aux idées de rationalité de Pallas Athéna concernant les toiles d'araignée, qui, même si très sophistiquées, seraient en réalité très fragiles et ne serviraient à rien. En effet, elle réfute ainsi toute forme d'ergoterie. Comme chacune des illustrations de ce livre, le sujet principal, ici, est une allégorie, un thème « abstrait », non théologique mais représenté soit par des actions, soit,  comme ici, par des personnages et leur environnement. Par sa nature, le texte rejette des argumentations trop sophistiquées et pointues, mais c'est là le résultat du choix de Sebastian Brant en tant qu'auteur du programme et qui a probablement aussi proposé l'idée d'une telle représentation. Pour l'artiste la question était plutôt comment montrer une idée qui n'était pas facilement représentable. Le sujet de Pallas Athéna et d'une toile d'araignée est donné par le texte. Les hiboux dans l'arbre sont finalement des représentations d'Athéna, le palmier une référence à un pays étranger. La toile, mise à part celle d'une deuxième illustration du même livre, ne fut jamais utilisée dans des gravures de cette époque. Ici elle couvre toute la surface de l'image, restant attachée au bord de la xylographie et à l'arbre à droite. L'apparence de la déesse est offusquée par cette toile, mais la divinité ne réagit pas encore. Comme dans la plupart des autres illustrations, le protagoniste occupe la partie centrale du bloc, mais au contraire des autres images, elle ne se rend pas active. Elle regarde, attend, ne fait rien dans son armure antique et fortement décorée. Le déséquilibre créé par l'araignée et sa toile, n'est pas totalement éliminé par les hiboux dans le palmier ; au contraire, les différences dans la densité des structures renforcent même ces caractères spécifiques de la compréhension de l'image. De plus, le traitement est remarquablement différent sur un plan technique : à gauche une combinaison de lignes courtes mais étroites et des lignes ondulées pour les plantes, les cheveux et l'armure, et des lignes plus parallèles et étroites pour la partie droite.

    Le sujet, donné par le texte et le programme de Brant, est au final seulement un aspect de l'importance de cette image. L'autre intérêt est la relation avec d'autres estampes de l'époque, les liens avec des nouveaux sujets et finalement la naissance d'une nouvelle iconographie. Il semble être une partie marginale, mais dans seulement relativement peu d'illustrations de ce livre le paysage, les plantes et les animaux prennent une place similaire. Certains graveurs du XVe siècle, tels que le Maître du Hausbuch, Martin Schongauer, Mair von Landshut, le Maître MZ ou encore Albrecht Dürer, ont commencé d'utiliser le paysage comme une partie importante dans leurs gravures. Mais ces paysages restent isolés, confinés à l'arrière plan, et servent comme écran pour les personnages animant l'image, car les personnages ne font pas vraiment partie du paysage. Pour certains sujets le paysage faisait partie depuis longtemps de l'iconographie, tel que pour le Saint Jérôme pénitent par Dürer (autour de 1496) ou par Cranach le Vieux (1509), le Saint Christophe Chrysostome aussi par Dürer (autour de 1496) et Cranach (1509), Adam et Eve (1504) ou le Saint Eustache de Dürer (autour de 1501). Mais ce qui manquait dans ces représentations étaient d'un côté les sujets profanes, les thèmes mythologiques et historiques, et de l'autre des paysages à proprement parler, sans légitimations religieuses. Ce dernier n'était pas encore développé, mais apparaît autour de la création des illustrations pour le Pétrarque. Le processus artistique est au centre des intérêts, en parallèles avec la question du paysage. Le Grand canon de Dürer de 1518, l'eau forte de Mercure et Vénus de Hans Burgkmair de 1520, les premiers paysages d'Albrecht Altdorfer, généralement datés autour de 1517-1522, l'utilisation du paysage dans les estampes de Cranach le Vieux, d'Altdorfer ou de son frère Erhard, mais aussi les tendances chez Weiditz lui-même, explicitent ce nouvel intérêt pour le paysage et la nature.

    Weiditz montre avec le Pétrarque qu'il n'était pas seulement au courant des grands projets constitués à Augsbourg, le Weisskunig et le Theuerdank, des projets dans lesquels il était impliqué comme graveur, mais qu'il a aussi, au moins dans cette illustration, essayé de développer une idée radicale. A part le Saint Christophe de Altdorfer, datant de 1513, personne n'a essayé de représenter une personne dans un paysage d'une manière si claire. Athéna reste au milieu, à la gauche de la composition les plantes et les animaux, mais à droite, comme dans la xylographie d'Altdorfer, l'espace est plutôt vide sauf l'araignée et sa toile. Le sujet était donné par Brant, mais la solution artistique était entièrement développée par Weiditz. Finalement, il a repris certaines idées actuelles et les a combiné à ses besoins particuliers. Pour représenter la toile la plus grand possible, il a du la fixer aux bords de la matrice, pour éviter que certaines des lignes, notamment celles relativement fines, se brisent pendant l'impression. Cette toile en même temps a croisée plusieurs autres parties de l'image et a causé un haut degré de complexité technique. Cette manière était relativement connue à Augsbourg à l'époque et dans les publications du Weisskunig et du Theuerdank se trouve par exemple une grande finesse de la linéarité. Ce que Weiditz a essayé avec cette structure n'est pas seulement de trouver une représentation adéquate pour le sujet, mais surtout de montrer, que la xylographie peut aussi utiliser des structures extrêmement raffinées ou sophistiquées. Contrairement à la rhétorique, ces ergoteries nourrissent un but : le développement de l'art. Cependant, Weiditz n'a pas essayé de se mettre en compétition avec d'autres maîtres d'Augsbourg, tels que Hans Burgkmair par exemple.



    [i]                    FRanciscus Petrarcha. Von der || Artzney bayder Glück/des gten vnd || widerwertigen. Vnnd weß sich ain yeder inn Ge=||lück vnd vnglück halten sol. Auß dem Lateinischen in das || Teütsch gezogen.[... ||)] Mit künstlichen fyguren durch=||auß/ gantz lustig vnd sch#[oe]n gezyeret.||(DAs Ander Bch ... ||)] Gedruckt z Augspurg durch Heynrich Steyner.|| M.D.XXXII.||  (=VD 16: P 1725). 
    [ii]                   La littérature sur le livre illustré est trop vaste pour être référencée exhaustivement ici, mais comme point de départ voir: John Harthan, The history of the illustrated book: the Western tradition, London 1997; Alan Bartram, Five hundred years of Book design, New Haven/London 2001; A heavenly craft: the woodcut in early printed books. Illustrated books purchased by Lessing J. Rosenwald at the sale of the library of C.W. Dyson Perrins, edited by Daniel De Simone, New York: G. Braziller, in association with the Library of Congress, Washington 2004.
    [iii]              La première édition imprimée était probablement celle parue à Strasbourg dans l'imprimerie qui a aussi publié les Summa de Thomas d'Aquin en 1472 ou 1475.
    [iv]              Pour Hans Weiditz et l'identification du Maître de Pétrarque: Christian Rümelin, « Holbeins Formschneider », in : Hans Holbein der Jüngere : Referate, gehalten am internationalen Symposium, veranstaltet von der Vereinigung der Kunsthistorikerinnen und Kunsthistoriker in der Schweiz ... Kunstmuseum Basel, 26. - 28. Juni 1997, Zürich 1998, p. 305-322 et Christian Rümelin, « Hans Holbeins "Icones" : ihre Formschneider und ihre Nachfolge »,  in : Münchner Jahrbuch der bildenden Kunst, 3.F. 47.1996 (1997), p. 55-72 ; Walther Scheidig, Die Holzschnitte des Petrarca-Meisters zu Petrarcas Werk "Von der Artzney bayder Glück des guten und widerwaertigen": Augsburg 1532, Berlin 1955; Heinrich Theodor Musper, «Neue Holzschnitte des Petrarkameisters», in: Münchner Jahrbuch der bildenden Kunst, N.F. 9, 1932, p. 296-301; Heinrich Theodor Musper, «Ein Holzschnittporträt des Petrarkameisters », in : Jahrbuch der Preußischen Kunstsammlungen, 51, 1930, p. 56-59 ; Heinrich Theodor Musper, Die Holzschnitte des Petrarkameisters. Ein kritisches Verzeichnis mit Einleitung und 28 Abb., München 1927 ; Heinrich Röttinger, Hans Weiditz, der Petrarkameister, Strassburg 1904.
    [v]              La lettre de dédicace de Spalatin aux éditeurs Grimm et Wirsung est datée du 8 septembre 1521 et on peut assumer que non seulement le texte était prêt, mais aussi les illustrations, ou du moins avec peu de retard.
    [vi]              Même si Hans Weiditz est considéré comme le dessinateur et probablement aussi le graveur de la plus grande partie des matrices, il reste à voir s'il était en effet le seul responsable pour la réalisation. Des petites différences dans la manière de graver indiquent d'autres mains dans la production de ces matrices.


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