• Numéro 4 | paru le 28 novembre 2008 | Kurosawa

     

    A Venise. Journées exotiques

    de notre envoyé spécial

     

    Jean de Baroncelli

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>Venise, 6 septembre. – C'est l'Inde et le Japon qui nous avaient donnée rendez-vous ces jours-ci. Deux pays chéris des festivals, deux pays dont on attend toujours les œuvres avec curiosité parce qu'elles nous entraînent généralement très loin de nos préoccupations familières, parce qu'on y parle un langage cinématographique différent de celui auquel nous sommes habitués, parce qu'à leurs défauts mêmes nous trouvons une saveur exotique.
    <o:p> </o:p>Une fois de plus nous avons été sensibles à ce charme que l'Orient exerce sur nous. Notre plaisir pourtant n'a pas été tel que nous l'avions espéré. A aucun moment nous n'avons retrouvé ce bel enthousiasme qui nous animait naguère pour Deux hectares de terre ou pour Rashomon. Commencerions-nous à être blasés ? C'est, hélas ! possible. Mais je crois plutôt que ce sont les films eux-mêmes qui sont responsables de notre déception.
    <o:p> </o:p>L'Invincible a été réalisé par Satyajit Ray, ce metteur en scène indien de trente-six ans à qui nous devons Pather Panchany. Ce film, on s'en souvient peut-être, remporta l'année dernière à Cannes un succès d'estime flatteur. Personnellement je l'avais aimé et chaudement défendu. L'Invincible est la suite de Pather Panchany. Ray nous y raconte l'enfance et l'adolescence d'une jeune Hindou d'humble extraction que son intelligence et son goût de l'étude mènent à l'université de Calcutta. L'action, ce que nous appelons du moins l'action, est réduite au strict minimum. Le film n'est qu'une lente et minutieuse chronique de la vie quotidienne du héros. Le moindre incident, le moindre détail est mis en valeur. On ne nous fait grâce d'aucun geste, d'aucune parole. Quand une porte est ouverte, il faut qu'on la voie se refermer. Quand un mendiant tend sa sébille, on nous oblige à compter sa monnaie... De ce foisonnement de notations naît indiscutablement une poésie qui dépasse le réalisme et qui, à deux ou trois moments, nous emmène assez loin. On ne peut nier que cette histoire à la fois inexistante et surchargée nous envoûte comme une mélopée. La peine et l'histoire des hommes s'y trouvent puissamment chantées. Si je ne craignais de beaucoup m'avancer, je dirais que Péguy aurait aimé ce film.
    <o:p> </o:p>Mais la médaille à son revers, qui avouons-le, s'appelle l'ennui. On ne s'ennuyait pas à Pather Panchany. On trouve le temps long à voir grandir le petit « invincible ». Montesquieu prétendait que pour bien écrire il faut sauter les idées intermédiaires. Montesquieu n'est certes pas un exemple à donner aux cinéastes indiens. Mais quand on est un spectateur français il y a des soirs où l'on se sent un goût irrésistible pour l'ellipse, le primesaut et la vivacité.
    <o:p> </o:p>Le Trône de sang, d'Akira Kuruzawa (le réalisateur d'Un ange ivre, Rashômon, l'Idiot, les Sept Samouraïs, etc.), est une adaptation de Macbeth. Adaptation relativement fidèle, compte tenu du fait que l'histoire est transposée dans ce Japon moyenâgeux dont nous avons appris à connaître, au cours des divers festivals, les convulsions militaires et politiques. Macbeth s'appelle ici Takotoki, Duncan, Tsuzuki Yoshiaki. Peu importe d'ailleurs. Ce qui nous intéresse c'est de voir l'atrocité du drame shakespearien portée à son paroxysme par le metteur en scène japonais. Paroxysme dont nous aurions tort de sourire car il est certainement assez proche de l'esprit du théâtre élizabéthain. N'en doutons pas : c'est avec ces hurlements et ces horribles grimaces qu'étaient interprétées les pièces sanguinaires de Webster, de Greene ou de Ford.
    <o:p> </o:p>Le film de Kurosawa comporte par ailleurs des scènes d'une grande beauté cinématographique : la chevauchée de Macbeth (je renonce à la traduction japonaise) et de son compagnon avant leur rencontre avec la sorcière ; le festin au cours duquel apparaît le spectre de Banco ; la mort de Macbeth, criblé de flèches par ses soldats, tandis que la force mouvante de ses ennemis investit le château... Ce sont là de splendides images que nous offre le réalisateur, des images qui nous rappellent les meilleurs moments de Rashômon. Il est dommage que le goût du formalisme, qui caractérise Kurusawa, l'ait entraîné ici et là à certains excès de raffinement. Son Macbeth m'a finalement paru (mais comment juger une œuvre dont on ignore la langue ?) plus terrifiant que dramatique, plus spectaculaire que réellement shakespearien. L'ouvrage est interprété dans un style théâtral caractéristique par Toshiro Mifune, qui était déjà le héros de Rashômon et des Sept Samourais, et par Isuzu Yamada, hiératique lady Macbeth.
    L'un ou l'autre de ces deux films « exotiques » a –t-il des chances de figurer au palmarès ? En ce qui concerne l'Invincible, cela me paraît peu probable. Le Trône de sang aurait d'avantage d'atouts. Mais le jury hésitera sans doute à couronner une fois encore Shakespeare. C'est donc probablement entre le film de Zinnenmann (Un chapeau plein de pluie) et celui de Visconti (Les Nuits Blanches), présentés ce soir, que se jouera la partie décisive.

     


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