• Numéro 4 | paru le 28 novembre 2008 | Corsand

    Dans la toile de Canogar

     

     

    Caroline Corsand

     

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>«Notre réalité technologique nous anesthésie»
    <o:p> </o:p>L'œuvre de Daniel Canogar, artiste espagnol récemment exposé à la galerie Guy Bärtschi, semble se développer autour d'une problématique axée sur le corps et sa relation à l'espace, la perception, l'analyse que chaque individu physique a de son propre environnement, de son propre contexte. Ce qui suit opère un cheminement au travers de trois de ses œuvres – Enredos, Spiders et Tangle, 2008 – et qui se veut être une recomposition en patchwork entre le travail de l'artiste et l'œuvre de l'araneae, dont chacune des réalisations est à la fois une production unique mais qui s'inscrit dans une série d'autres semblables.
    <o:p> </o:p>Quant l'artiste conçoit sa série photographique Enredos, il s'inspire au départ de la toile d'araignée qu'il assimile directement à un réseau de fils électriques. Dans un univers sans fond, hors de tout espace pré-défini, il tisse sa propre toile, composée de divers câbles informatiques, électriques, récupérés dans des décharges publiques. A de multiples reprises, des corps sont emmêlés dans les câbles, comme pris au piège des filets de l'artiste.
    En effet la série montre des corps qui semblent endormis, voire morts, et qui reposent dans un immense filet composé de fils électriques tendus dans le vide, formant des nœuds par endroits. A première vue, nous reconnaissons dans cette scène la toile de l'araignée, du prédateur, qui remplit ici ses fonctions, retenant entre ses mailles les futures proies de son créateur.
    Cette première réalisation nous offre l'illustration d'un paradoxe, celui de l'individu même. En tant qu'être humain, tout un chacun se trouve partagé entre le désir de se rapprocher des autres, et la peur d'être submergé par le collectif, c'est-à-dire de perdre sa personnalité, ce qui fait de lui, non plus seulement un individu appartenant à un groupe, mais également une personne à part entière, un être en cela unique. Enredos nous présente donc des corps, isolés en une sorte de léthargie pesante, mais reliés les uns aux autres par les câbles formant de manière métaphorique ce réseau technologique qui tient une place majeure dans notre quotidien. Tous pris dans la même toile, reliés par la transmission de multiples informations de natures diverses, les corps semblent, après une tentative de partage collectif visiblement échouée dans le but d'une intersubjectivité, s'accrocher au rêve immanent de la subjectivité, une subjectivité alors passive. L'artiste, avec cette œuvre, a pensé sa réflexion sur le corps percevant à travers ce statut tout à fait particulier que les nouvelles technologies donnent à la communication actuelle.
    Ce filet technologique qu'il conçoit comme support des corps photographiés dans Enredos va ensuite se matérialiser hors de la toile imprimée pour devenir installation.
    <o:p> </o:p>Sa série Spiders se présente ainsi comme une évolution d'Enredos. On retrouve des fragments de ses photographies de corps pris dans la toile «câblée», mais il s'agit cette fois-ci d'une projection par fibre optique.
    Dans la pénombre de l'espace d'exposition, un projecteur en fibre optique est relié à une multitude de câbles, en fibre optique également, déployés dans la pièce. Chacun des câbles à sa tête projette un détail des photographies premières d'Enredos, détails qui se chevauchent contre le mur de projection et forment ainsi un amas de corps empêtrés, pris au piège, et qui, par le jeu de la projection, vont s'étaler sur le mur pour permettre à la toile de l'artiste de s'étendre et se répandre un peu plus à chaque fois. Spiders se présente donc comme une mise en abyme de cette toile permanente dans laquelle le spectateur se trouve pris: il voit des corps enchevêtrés dans les fils, alors qu'il est lui-même, a son issu, un de ces corps qu'il regarde, prisonnier d'une installation où les outils deviennent un prolongement de l'image donnée, comme si cette dernière n'était que le projet projeté de l'installation elle-même.
    La toile projetée devient alors, pour l'artiste, un écran, cet écran qui capte, capture les images de corps à l'origine solides, mais devenues par le jeu de la projection de simples rayons lumineux plus ou moins intensifs, plus ou moins colorés, comme digérés par la fibre optique. On apprend alors que le parallèle entre biologie et technologie est une question qui intéresse également l'artiste. S'il emploie les câbles électriques comme matériau unique de ses compositions, c'est entre autre pour leur ressemblance avec l'appareil circulatoire de l'organisme. Et Daniel Canogar va plus loin dans les analogies.
    En effet, après avoir rapproché les conducteurs électriques de la circulation nerveuse et sanguine, il nous propose sa propre toile comme voile d'illusion, dérobant ainsi à l'œuvre de l'araignée son statut symbolique. De la sorte, quand l'artiste projette ses propres œuvres photographiques, il joue le rôle du prédateur qui sert un leurre au spectateur avant de lui jeter dessus sa toile, telle la dinopis, chasseuse à toile-filet. L'œuvre première n'est plus celle que l'on croit et laisse place par le jeu de l'installation à son éclosion future.
    <o:p> </o:p>Tangle peut alors être vue comme le troisième volet d'une conception aboutie de la nature des relations que tout un chacun entretient avec le réseau dans lequel il tente de se déployer. Ainsi, la toile n'est plus seulement un élément de l'œuvre, elle devient œuvre elle même en investissant/submergeant l'installation dans sa totalité.
    Sur le même modèle que Spiders, Tangle voit les corps disparaître totalement au profit de la profusion de la toile devenue canevas noueux, comme pour célébrer d'une certaine manière l'ingéniosité de ce fil de soie qui pour faire toile et lui composé d'une multitude de fibrilles élémentaires. L'image projetée n'est plus qu'un agglomérat débordant de fils électriques qui ne semblent plus reliés à rien d'autre qu'à eux même, et s'étend avec encore plus d'ampleur à l'extérieur de la projection.
    Qu'est-il advenu de ces corps qui nous permettaient un retour réflexif et réflectif sur nous même? Ces corps ont totalement disparu de la composition, là où la toile s'est répandue totalement, liante, enlisante, sur le fond projeté comme dans le positionnement des câbles à fibre optique. On assiste à l'invasion d'une technologie hybride, ou plutôt à son humanisation. En effet, si la double toile, projetée/projetante, apparaît tout d'abord comme un organisme sauvage et embrouillé, face à l'observation, surgit petit à petit l'idée d'une formation en cocon de cette toile, qui devient alors, moins agressive qu'elle n'est protectrice. Et cette conception est d'autant plus intéressante qu'elle nous ramène sur la projection du sujet, à savoir la toile de l'araignée, création toute aussi fabuleuse qu'instinctive des araneae.
    Tout comme l'artiste, l'araignée produit plusieurs types de fils de soie qui ont chacun une nature prédéterminée par le besoin de sa créatrice, même si les études prouvent que la fonction première de la soie de l'araignée était de confectionner un cocon dans la mesure où les espèces d'araneae les plus primitives ne tissent pas de toiles pour piéger leurs proies.

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