• Numéro 2 | Xennakis

    Xenakis et la musique mathématique

     

    Caroline Corsand

     

     

    Iannis Xenakis, un des plus grands compositeurs du XXe siècle.

    Souvent la musique se construit comme une succession de notes, l'évocation d'évènements qui mis bout à bout, nous racontent une histoire, nous chantent une mélodie, ou nous décrivent un développement au cours du temps.

    La musique de Xenakis est tout autre. Le compositeur a l'esprit mathématique d'un architecte.

    Dans les années 1950 : Xenakis, en parallèle de sa formation d'ingénieur aux côtés du Corbusier, veut exprimer par la musique le souvenir d'une manifestation nazie à Athènes. Ce qui compose son souvenir : les bruits de tirs des mitraillettes, les cris, les slogans scandés en rythme, puis le silence, lourd, de la fin du combat. Xenakis cherche dans un premier temps à faire correspondre chaque bruit à un son, une note, une gamme, afin de créer son premier opus Metastaseis. Mais l'essence même du souvenir n'est pas dans la succession de traductions sonores. Il manque quelque chose pour participer à la réminiscence ; Xenakis comprend alors que, si chacun de ces sons, pris indépendamment, deviennent anodins, alors ce ne sont pas les sons en eux-mêmes qui déterminent l'évènement, mais plutôt leur répartition dans un même espace sonore qui en devient caractéristique. La composition doit donc être envisagée dans sa globalité, afin de ne pas perdre le souvenir lui-même.

    La musique sérielle, qui fait l'objet de toutes les attentions de la part des musiciens à cette époque, repose sur une succession de sons préétablie et invariable, basée sur l'énumération d'intervalles stables. Elle représente une réelle évolution dans le domaine de la composition, dans le sens où c'est la modulation qui fait la musique et non la recherche d'une harmonie tonale. Mais avec la structure des séries, chacun des douze sons de la gamme chromatique correspond à un évènement, ce qui ne répond pas aux attentes de Xenakis, qui va considérer dès lors la musique sérielle comme obsolète.

    Ayant suivi en auditeur libre, mais non sans difficultés, les cours d'Olivier Messiaen au Conservatoire de Paris, il reçut du professeur comme conseil, de travailler la musique selon son expérience mathématique d'architecte, de manière à renforcer la singularité de son approche.

    Il va donc, à partir de ses connaissances en physique, faire appel à la notion de champ, comme région de l'espace soumise à des forces électriques, ou à des sons. Dans un même champ sonore sont regroupées des forces telles que la dynamique, la fréquence, l'intensité et la durée. En variant la quantité et la direction de ces forces, on obtient de multiples durées ; celles-ci définissent tout changement dans l'état de la matière et de l'énergie, et correspondent ainsi à la fragmentation du temps selon sa conception moderne. Ainsi, pour Metastaseis, Xenakis se libère de la méthode sérielle en utilisant les gammes de douze tons, non pas comme sons manipulés, mais bien comme des points de repères constitutifs d'un spectre de fréquence continue. Le tout est ensuite d'organiser l'ensemble, sans faire appel à une hiér-archisation intrinsèque de la forme d'ensemble. La question est d'arriver à se détacher du principe formel de ce que l'on appelle le modèle organique: on part d'une cellule, qui, par une succession unique d'évènements, va passer par divers stades évolutifs comme la variation, l'expansion ou encore la soustraction. En travaillant avec Le Corbusier, il découvre que ce dernier utilise une alternative au modèle organique, à savoir la juxtaposition.

    Le fait d' « accoler » les évènements les uns aux autres au sein de la structure d'ensemble permet ainsi à Xenakis de garder en tête son schéma physique de composition.

    Reste alors à définir le système, la règle de composition.

    Ce qui intéresse avant tout Xenakis dans les mathématiques, ce ne sont pas les valeurs qui en résultent, mais la forme d'outil que cette science peut endosser. L'outil doit être à la fois très précis pour garder en tête l'idée d'ensemble, de globalité de l'œuvre dans sa conception, mais doit en même

    temps lui laisser la possibilité de varier les phénomènes, comme en physique. Toute partie participe de façon aléatoire à un ensemble qui reste prédéterminé. Ainsi la théorie des probabilités, et plus particulièrement la stochastique (1), s'imposent d'elles-mêmes. Le processus stochastique va permettre à Xenakis de prendre en compte certains paramètres comme les durées ou les intervalles, et de les soumettre sous forme de valeurs variables selon une distribution théorisée. Cette technique de composition, qui prend en compte des évènements aléatoires, repose malgré tout sur un processus global prévisible, où la probabilité est entièrement calculée. La composition dépend à la fois d'un raisonnement bien précis, et est, en même temps, constituée d'un jeu de hasards, de variations aléatoires en réseaux.

    La première partition de Metastaseis était présentée sur des feuilles volantes, de grandes feuilles d'architecte, et c'est ainsi qu'elle est arrivée entre les mains d'Hermann Scherchen. D'un abord à première vue assez décontenançant, le chef d'orchestre sut lire la partition à sa juste valeur, c'est-à-dire comme une composition d'un genre totalement nouveau, sans rapport aucun avec la musique contemporaine. La partition fut ensuite retouchée : Xenakis dut supprimer quelques cordes et la réecrire de façon à la rendre plus lisible, donc plus abordable par le chef d'orchestre.

    Metastaseis est divisée en trois sections : la partie centrale, limitée au jeu de quelques instruments solistes, sépare les deux parties extrêmes, décrites comme des sections de « masses ». Ces deux parties - la première introduisant les glissandi qui nous conduisent à un cluster, cette gigantesque masse sonore uniforme, et la dernière composée essentiellement de glissandi en mutation et d'un jeu de notes fixes basées sur une rythmique complexe - se concentrent sur la masse des instruments invités. Xenakis les appelle, dans ses notes, des personnages, ou paroles fixes, puisque ces timbres vont être le terrain de mutations, réagissant les uns par rapport aux autres, se modifiant puis réapparaissant. Alors que la partie centrale expose un thème mélodique, basé sur une série partielle, les sections de masses se définissent, en contraste, comme athématiques, et, au final, non-figuratives.

    Xenakis définit lui-même ses compositions comme ne venant pas de la musique, mais d'un domaine tout différent.

    [CC]


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