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  • Dans la toile d'Arachné, pièce sonore arachnéenne, 19'05

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    Le plus grand charme des mythes consiste précisément en ce qu'ils n'accèdent jamais à une forme achevée tout en exerçant une singulière fascination par le détail. Ils sont, par définition, des territoires instables temporairement cristallisés. Leurs objets le sont aussi, tantôt gravés dans le marbre, tantôt flous, incertains voire oubliés. La toile d'Arachné, par exemple... tantôt fragile et légère, tantôt puissante, lourde. Quant à sa forme, elle ne saurait qu'être mythique. Invisible, elle fascine et captive. Éphémère, elle se renouvelle sans cesse. A bien des égards, elle peut, à elle seule, incarner le mythe lui-même. Etrange mise en abîme. Et si la véritable toile était le mythe lui même? Un mythe qui se raconte, en déployant sa toile. Une fiction gratuite. Sonore, par exemple.

    <o:p> </o:p>

    Jindra Kratochvil

     

     

     

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>frederic khodja<o:p> </o:p>11Je fixais intensément depuis ma lucarne un lieu en partie cachélieu qui se distinguait des autres lieux possibles par une entrée qui préfigurait un intérieurL'instant qui suivait cette concentration je me déplaçais intégralementet me trouvais avec précision au lieu dit par mes yeux.La fenêtre d'observation initiale était maintenant brouillée dans l'espace retourné.Je conservais en tout point les apparences.Passé l'écran légérement distendu de cette entrée me semble-t-il,J'assisterai totalement à la vie dans laquelle je venais de chuter.Je dénombre onze traversées.<o:p> </o:p>FK 08 08<o:p> </o:p><o:p> </o:p>Suite de 11 dessins réalisée en août 2008, pour le numéro 4 de la revue Hippocampe.

    stylo bille sur papier à dessin, 21 x <?xml:namespace prefix = st1 ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:smarttags" /><st1:metricconverter w:st="on" ProductID="29,7 cm">29,7 cm</st1:metricconverter>, collection de l'artiste


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    Salir la peinture


     

    Gwilherm Perthuis

     

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p><o:p> </o:p>« [Konrad Witz] utilise la capacité propre à la peinture à figurer sans dire, à montrer sans déclarer. »[i].
    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>Qui connaît la peinture de Konrad Witz ?[ii] Quelques amateurs, peut-être, qui en consultant des ouvrages généralistes sur l'histoire de la peinture, tombent par hasard sur une page consacrée aux origines du paysage, illustrée par une peinture du maître bâlois donné comme le « premier paysage réaliste » de l'histoire[iii]. Un grand nombre d'amateurs suisses, certainement, connaissent relativement bien Konrad Witz, du fait de la présence de ses œuvres dans les grands musées helvétiques et de l'abondance des études à caractère nationaliste que nous dénombrons durant le XXe siècle, qui font de Witz le fondement de la peinture suisse. Enfin, quelques spécialistes ont le sentiment de très bien connaître cet artiste à la fois traditionaliste et détournant les conventions. Ils n'ont cessé depuis plus d'un siècle à cataloguer l'œuvre de Konrad Witz, à former des corpus et à attribuer des pièces inattribuables de par la rareté des sources. Ils avaient le sentiment de se rapprocher du peintre, ils s'en sont écarté, et ont perdus de vue les détails essentiels qui permettent d'interpréter son œuvre. Ces quelques mots suffisent, dans le cadre de cet article, à poser les grandes lignes historiographiques de notre sujet[iv] et légitiment notre « approche détaillée » de la peinture de Witz, guidée par l'approche méthodologique de Daniel Arasse, et articulée par l'étude d'un parasite pictural : les toiles d'araignées.
    <o:p> </o:p>Arasse n'a jamais travaillé sur la peinture du maître bâlois, mais il a proposé, de manière allusive, quelques pistes qui permettraient d'approcher des détails remarquables dans son œuvre. Il préconise de s'intéresser aux marges de l'image et aux détails qui ne sont pas signifiants au premier échelon de l'analyse iconographique.
    <o:p> </o:p>Salir une peinture
    <o:p> </o:p>Konrad Witz salit la peinture dans un panneau de bois isolé conservé au Kunstmuseum de Bâle, La Rencontre d'Anne et Joachim à la Porte Dorée (ca 1440, 1,56 x 1,21). Il y niche des toiles d'araignée dans un angle de la construction massive qui s'oppose clairement au fond doré qu'elle tutoie. Des toiles qui ne sont déjà plus que des amas de poussières collants, la structure précise et régulière de la toile à peine achevée s'étant métamorphosée en témoin du temps qui s'est écoulé. La toile d'araignée est un motif secondaire par rapport au sujet de la rencontre miraculeuse d'Anne et Joachim, qui permît leur union et la conception immaculée de la Vierge. Ce thème très populaire et très représenté au Moyen Age rencontre un nouvel intérêt durant le Concile de Bâle (1431-1438), pour lequel Witz a peint, puisque la question centrale de la virginité de l'ascendance de la mère du Christ  y a été débattu. Le thème de la rencontre est traité d'une manière très particulière par Konrad Witz. Il conserve seulement dans le champ pictural les deux personnages principaux et simplifie au maximum le sujet en ne représentant pas les témoins, le berger, l'ange, et l'ensemble d'objets qui sont décrits dans le texte biblique et traditionnellement associés au thème dans les représentations[v]. Witz suggère toutefois des présences extérieures au cadre de la peinture en figurant des ombres projetées qui ne se rattachent à aucun objet ou personnage identifiable dans la peinture. Cette simplification du sujet qui abstrait certains éléments importants est à rapprocher du traitement de l'apparition à Auguste en présence de la Sybille de Tibur de Witz (conservée au musée des Beaux-arts de Dijon) qui ne représente pas l'objet de l'apparition, mais ce dernier est seulement transmis au spectateur par les gestes précis et le regard expressif d'Auguste. L'immatériel n'est pas représenté car les codes de la peinture n'ont pas la capacité de le figurer, mais l'artiste préfère renforcer des détails de la réalité très concrète pour transmettre par leur intermédiaire des idées abstraites. Dans le cas de La Rencontre, Witz reste attaché à des détails très matérialistes et rejette les éléments qui s'y opposent.
    <o:p> </o:p>L'interprétation des toiles d'araignée dans cette peinture pourrait être envisagée par une approche théologique. Nous ne connaissons que très peu d'œuvres d'art qui représentent au XVe siècle des araignées ou des toiles. L'œuvre de Witz s'impose comme une sorte d'unicum. Le motif caché dans un espace très sombre et dénué d'intérêt, renvoi sans doute à la révélation divine qui est masquée et qu'il convient de dévoiler, de rendre manifeste. Pour Konrad Witz le mystère de l'union miraculeuse ne peut être figuré que par l'intermédiaire de détails dans lesquels des grandes idées immatérielles sont condensées. Les toiles pourrissantes sont à peine visibles. Il convient de scruter dans le détail la peinture pour découvrir ses souillures. Le détail qui à priori n'a aucun rôle dans la compréhension et la lecture du sujet, devient dans la proposition plastique de Witz, une entrée codée qui éclaire le mystère que le peintre n'ose pas, ou ne peut pas, représenter tel qu'il est pensé dans le texte.
    <o:p> </o:p>Effet de réel
    <o:p> </o:p>Konrad Witz développe un  intérêt constant pour les objets qui sont en train de s'abimer, les morceaux d'architectures détériorés par le temps, des fragments qui nous sont donnés à voir comme très « réalistes ». Notons toutefois que l'artiste est loin d'être un « peintre réaliste »[vi]. Il convient de montrer l'artificialité de la peinture du maître bâlois pour mieux comprendre la manière dont il introduit des motifs chargés de réalité. Dans La Rencontre, les détails que nous percevons comme tutoyant le réel (craquelures sur le mur, maçonnerie ruinée par le temps, toiles d'araignées se décomposant), tutoient plastiquement un fonds doré qui abstrait totalement la scène et la coupe de toute réalité matérielle. Witz ne peint pas la réalité, mais il en extrait des détails qu'il réinvestit dans une composition totalement artificielle. Il conviendrait ainsi de parler « d'effets de réel », pour reprendre les mots de Roland Barthes, en transposant et en adaptant sa conception du terme littéraire au champ de la peinture qui nous concerne[vii]. Barthes théorise la notion d'effet de réel en prenant l'exemple de certaines descriptions tirées du roman Madame Bovary de Gustave Flaubert. L'emprunt de termes et de vocabulaires emprunts de réalité constitue un travail littéraire qui repose sur des techniques, destiné à produire des effets artificiels et non à reproduire le réel lui-même. Certains détails sont « inutiles » d'un point de vue strictement narratif, selon Barthes[viii], mais ils sont actifs pour la constitution de l'effet. De manière similaire, Konrad Witz puise dans le quotidien et dans un environnement trivial pour construire des effets similaires, mais en partant de détails qui ne sont pas accumulés dans le temps, comme dans une description littéraire, mais distillés dans l'espace pictural. En peinture c'est la gestion du dispersement spatial des détails qui produit l'effet et non sa succession.
    <o:p> </o:p>L'effet de réel est une structure artificielle qui permet à l'artiste d'ancrer le regard du spectateur avec des motifs qui le concernent au quotidien. Les toiles d'araignées, les fissures, ou la potence précaire en bois sont autant d'éléments qui produisent un sentiment de proximité et facilitent l'accès au thème religieux. Prolongeant l'actualisation des thèmes bibliques par les costumes, les paysages, ou l'architecture, l'effet de réel witzien offre une marche supplémentaire pour que le public adhère plus facilement à la proposition figurative.
    <o:p> </o:p>La toile : implication et jeux
    <o:p> </o:p>Par ailleurs, les méthodes figuratives qui permettent de salir la peinture sont à mettre en relation avec la présence de l'artiste en tant que sujet dans son œuvre. Witz ne se contente pas de représenter un thème qu'on lui a commandé et de produire des effets efficaces pour transmettre des messages, mais il met en scène son implication en tant qu'artiste grâce aux détails décrits plus haut. L'artiste joue avec un détail comme les toiles d'araignées et va le détourner au profit d'une réflexion sur sa pratique, son métier, et sa conscience de sa place. Issu d'un atelier emprunt d'une culture médiéval et ayant lui-même reproduit ce schéma, Konrad Witz tente de négocier son accession à la modernité par des détails secondaires dans lesquels il a d'avantage de possibilités de se livrer.
    <o:p> </o:p>Lorsque Witz peint La Rencontre à la Porte Dorée, Léon-Battista Alberti a déjà publié son De Pictura (1435) à Florence. Même si nous pouvons affirmer que le bâlois connaissait cet ouvrage théorique, pierre angulaire de la peinture moderne, Witz travaille dans un milieu et une culture qui ne le porte pas à adopter les concepts albertiens. C'est donc au travers de thèmes qui lui sont propres, qu'il tendit progressivement vers une modernité individuelle qui passe par une iconographie très longtemps restée incomprise et qui ne peut être analysée avec la trame méthodologique appliquée à la Renaissance italienne[ix].
    <o:p> </o:p>Witz peint des toiles d'araignées dans un espace de la peinture qui ne peut pas être bien regardé par le spectateur du XVe siècle. Volontairement, il insère cette incongruité de manière à ce qu'elle ne puisse pas perturber la lecture. L'artiste représente un détail que lui seul pouvait connaître, puisque le tableau devait faire partie d'un ensemble important qui ne permettait la lecture détaillée de la peinture que nous avons aujourd'hui dans les musées. Il était donc le garant d'une sorte de secret, d'une intention qui pourrait être interprétée comme une signature. L'artiste démontre sa capacité d'invention en maquillant une idée, tout en sachant qu'un regard attentif peut la décrypter. Arasse livre des exemples éclairants à ce sujet[x], d'artistes qui individualisent leur approche d'un sujet en proposant des détails souvent anecdotiques et peu mis en valeur, que nous découvrons seulement aujourd'hui grâce à des instruments d'études modernes. Pour lui On y voit de moins en moins, puisque ce que l'on voit n'était pas forcément ce que l'artiste devait nous offrir  voir au XVe siècle. Mettre à jour l'intimité du peintre qui peut être logée dans un détail comme la poussière accrochée au coin d'une porte dans la peinture de Witz pose des problèmes méthodologiques, mais ouvre également les capacités d'interprétations pour des motifs qui ont souvent été écartés des interprétations, normalisant l'approche des anormalités.
    <o:p> </o:p>La tache, la souillure, le résidu peuvent également être perçus comme un jeu mis en œuvre par l'artiste qui se pose des questions sur sa pratique. Le fait même de s'appeler « Witz » peut prêter à sourire puisqu'en tant que substantif le mot signifie la blague, la plaisanterie. Salir volontairement la peinture ne serait-il pas un geste ironique ou humoristique qui se justifie théologiquement (nous l'avons vu), mais qui pris de manière littérale peut être apparenté à une blague. Dans l'Adoration des Mages du musée d'Art et d'Histoire de Genève, le détail d'une craquelure de la bâtisse est saisissant : elle est représentée comme si le craquelé était peint sur le tableau lui-même, comme si la peinture tombait en ruine. La toile d'araignée qui tend sa toile est-elle représentée dans le bâtiment, ou est-elle peinte sur le tableau, comme venant ruiner l'artefact qu'est la peinture ? Konrad Witz aurait pu s'amuser avec cette question du caractère artificiel et éphémère de l'art, sans doute pas dans les termes qui me permettent d'énoncer ses idées, mais en tout cas avec l'intention de s'impliquer dans son œuvre et de témoigner d'une conscience moderne de la peinture, refrénée par les codes archaïques qui régissent l'environnement dans lequel il évolue.


    [i] Arasse Daniel, Le Détail, Paris, Flammarion, 1992, p. 134.
    [ii] Konrad Witz (ca 1400 – ca 1445) est né à Rottweil en Souabe dans une famille de peintre et a réalisé une grande partie de sa carrière dans la ville de Bâle. Il y est installé de 1430 à 1444 dans une importante maison de la vieille ville et occupera une place importante dans la vie publique. Witz a en particulier réalisé de nombreuses commandes lors du Concile de Bâle de 1431 à 1438. Sa peinture condense des codes marqués par la période médiévale (archaïsmes) et des détails décalés par rapport à des références connues, qui individualisent sa peinture. Il négocie ainsi d'une manière très personnelle son accès à la modernité en peinture. Son parcours et sa vie sont très mal documentés ce qui nous conduit à nous intéresser avant tout aux œuvres attribuées avec certitudes pour un travailler d'interprétation, plutôt que de nous perdre dans des querelles d'attribution qui ne peuvent être closes par des arguments historiques et qui n'apportent rien à la compréhension de l'œuvre.
    [iii] Konrad Witz, « La Pêche miraculeuse », Retable de Genève, 1444, tempera sur bois, Genève, musée d'Art et d'Histoire.
    [iv] Les lecteurs pourront se reporter à une étude générale en français, Marianne Barrucand, Le Retable du miroir du salut dans l'œuvre de Konrad Witz, Genève, Droz, 1962, ainsi qu'à un site consacré à l'œuvre de Konrad Witz qui contient une bibliographie récente, http://konradwitz.over-blog.com.
    [v] Traditionnellement un ange est au-dessus d'Anne et Joachim pour les inciter à se rapprocher et à s'unir. Citons à titre d'exemple un panneau d'Enguerrand Quarton daté de 1450.
    [vi] La littérature a souvent présenté l'artiste comme « réaliste » et attiré par le réel, sans mesurer la part artificielle de son œuvre et surtout sans tirer des interprétations convaincantes de ce dit caractère « réaliste ».
    [vii] Roland Barthes, « Effets de réel » (1968), Œuvres complètes (T II), Paris, Seuil, 1994, p. 479-484.
    [viii] Ibid, p. 480.
    [ix] Par rapport à ces questions de zones géographiques marginales qui adaptent les concepts modernes pour négocier l'accès à la modernité en conservant des traditions picturales, cf Patricia Eichel-Lojkine, Excentricité et humanisme, parodie, dérision, et détournement des codes à la Renaissance, Paris, Droz, 2002.

    [x] Daniel Arasse, « On y voit de moins en moins », Histoires de peintures, Paris, Denoël – France Culture, 2004, p. 169-175. L'auteur cite en particulier pagela Maesta de Duccio comme exemple.



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  • Le fil noir Redon


     

    Gwilherm Perthuis

     

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>« En observant minutieusement mes noirs, je trouve que c'est tout spécialement dans la lithographie qu'ils ont leur force maximale ». Odilon Redon
    <o:p> </o:p>La densité du noir est particulièrement saisissante dans l'encre sur papier vergé intitulée La Tête dans corps d'araignée (23,8 x 31,3 cm, Paris, musée d'Orsay). Le motif représentant un visage de ¾ émergeant d'une petite boule velue entourée de tentacules, occupe une place très restreinte au cœur de la feuille. L'opposition entre l'araignée très noire et les larges marges blanches détache le sujet de son support. Les annotations chiffrées au crayon bleu dans la partie inférieure sont les repères permettant le transfert lithographique du dessin : transfert qui fera gagner en puissance les noirs.
    <o:p> </o:p>Le thème du visage enserré dans un objet globuleux est récurrent dans l'œuvre graphique de Redon. L'artiste en fait une sorte de fil conducteur dans les variations surréelles qu'il propose dans la suite lithographiée Le Rêve (1879). Des corps morcelés : le visage retire l'attention, parfois l'œil seulement, l'aspect globuleux permettant de construire des assemblages avec des bulles, des coquilles, ou orifices... Eléments qui dans le vocabulaire de Redon rentrent en fusion avec des objets architecturaux, des minéraux, des végétaux, ou quelques insectes « soigneusement choisies »[1] dont les araignées. Les univers littéraires de Baudelaire ou de Poe sont souvent sous-jacents aux choix iconographiques.
    <o:p> </o:p>***
    <o:p> </o:p>Pénétrer du regard l'œuvre graphique d'Odilon Redon, c'est se laisser prendre et enfermer par les pièges de l'univers arachnéen. Tout nous fait converger vers l'araignée dans les dessins et les lithographies de Redon : du fusain friable et poussiéreux évoquant une vieille toile en train de disparaître, en passant par le grand thème symboliste de la mélancolie dans lequel s'inscrit l'artiste, jusqu'au sujet même de l'araignée que Redon traite à plusieurs reprises directement au fusain ou par l'intermédiaire de la pierre lithographique.
    <o:p> </o:p>***
    <o:p> </o:p>L'œuvre graphique forme ainsi un tout, régie par le domaine de l'araignée, qui est fixé par divers points d'ancrages : techniques, iconographiques, philosophiques, comme la toile ancrée par différents points dans le coin d'espace qu'elle colonise. Le fusain se désagrège, tombe en ruine lors de son application sur le papier ou sur la toile. Le reliquat de matière fixé sur le support conserve visuellement une impression de volatilité et d'effacement, de précarité, qui trouve parfaitement son équivalence dans l'œuvre de l'araignée, la toile, qui tout en retenant le regard pour son extrême régularité formelle, peut être réduite à une poignée poussiéreuse en un instant.
    L'iconographie développée par Odilon Redon dans la planche 6 de la suite Les Songes[2], prolonge l'univers arachnéen fixé par la technique du fusain. La fenêtre précédée d'un grille orthogonale, fait écran et ferme l'espace dans lequel le regard est enfermé, contenu. Comme la toile constituée d'une structure géométrisée dont la portée est de capturer la proie, l'espace d'incarcération fermé par la trame est une transposition à échelle humaine du piège de l'araignée.
    <o:p> </o:p>***
    <o:p> </o:p>Odilon Redon affronte également frontalement le thème de l'araignée dans quelques fusains et lithographies tirées des dessins. Nous connaissons deux fusains représentant l'insecte en train de sourire comme par provocation, dont l'un est conservé au musée d'Orsay. L'araignée, elle sourit, les yeux levés, réalisée en 1881 sur un papier vélin chamois, a été lithographié en 1887[3]. La boule duveteuse qui constitue la tête et le corps de l'araignée sont extrêmement sombres dans le fusain, tandis que le passage lithographique permet de rendre plus distinct les détails anthropomorphe de son visage. La mise en page du sujet est également différente dans la lithographie : l'araignée est recentrée et bénéficie d'un espace plus large, dans l'épreuve imprimée. Redon joue avec l'expression humaine de l'insecte de la mélancolie : il le fait sourire ou pleurer, variant ainsi le rapport dramatique au sujet de valeur emblématique.
    <o:p> </o:p>***
    <o:p> </o:p>La collection Scharf-Gerstenberg, accessible depuis quelques mois à Berlin sous le titre Surreal Welten, rassemble des œuvres d'art du XVIIe au XX e siècle qui ont pour point commun de faire partie d'une sphère surréaliste et d'avoir tenus un rôle pour la construction et la diffusion de l'identité surréaliste (dans les années 1920-1930). Redon y tient une place remarquable avec quelques fusains importants et des lithographies qui furent collectionnées par le chef de fil du groupe surréaliste, André Breton. Un éclairage contemporain présenté dans la même salle, prolonge les fils oniriques tendus par Redon : un dessin de Gerhard Altenbourg intitulé Huldigung am Redon (Hommage à Redon, 1966). Ce dessin est constitué d'un dense réseau de traits posés de manière aléatoire, dont la structure renvoi à la trame intellectuelle et graphique développée par Odilon Redon. Altenbourg, artiste contestataire de l'ancienne RDA fut persécuté par la Stasi pendant les années de guerre froide. Il dresse un portrait arachnéen d'Odilon Redon, dont nous avons pu mesurer l'importance au travers de quelques unes de ces œuvres.


    [1] Baudelaire Allusion poème
    [2] « Le Jour », suite Les Songes, planche 6, lithographie, 21 x 15,8 cm

    [3] L'araignée, elle sourit, les yeux levés, 1881, fusain estompe, traces de gommage, grattage (rayures), fixatif, sur papier vélin chamois, 49,5 x 39 cm, Paris, musée d'Orsay (RF 29932)



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